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Des risques inflationnistes aux risques pour la stabilité financière et vice-versa

L’essentiel en bref

  • L’effondrement de Silicon Valley Bank et de Signature Bank, puis le rachat forcé de Credit Suisse par sa rivale UBS ont fait craindre une répétition de la crise bancaire de 2008
  • Alors qu’il y a trois ans, c’était surtout la volatilité des actions qui activait le mode « crise », aujourd’hui, ce sont les fluctuations attendues sur le front des taux d’intérêt qui tiennent les investisseurs en haleine
  • La crise bancaire sera vite oubliée et l’inflation reviendra au cœur de l’attention

Près de trois années se sont écoulées depuis le point culminant de la crise sanitaire. Les experts financiers ont tendance à faire coïncider le creux du marché de mars 2020 avec le pic de la crise. Mais indépendamment de la date exacte, force est de constater que cette crise est considérée comme révolue. De toute évidence, la crise suivante ne s’est pas fait attendre longtemps.

En moins de deux semaines, la faillite de Silicon Valley Bank et Signature Bank, puis le rachat forcé de Credit Suisse par sa rivale UBS ont fait craindre une répétition de la crise bancaire de 2008. Sans même consulter la presse quotidienne, il serait possible de savoir avec certitude, au travers des volatilités implicites des options négociées pour différentes classes d’actifs, si le marché anticipe une correction ordinaire ou une crise. À noter qu’actuellement, c’est davantage la volatilité des taux d’intérêt qui fait rage que celle des actions. Le graphique 1 montre à titre d’exemple les volatilités implicites des actions, des taux d’intérêt et des devises au cours des vingt dernières années.

Alors qu’il y a trois ans, c’était surtout la volatilité des actions qui activait le mode « crise », aujourd’hui, ce sont les attentes à l’égard des fluctuations des taux d’intérêt qui tiennent les investisseurs en haleine. Historiquement parlant, une telle volatilité des taux correspond à un indice VIX de 50 à 60 et donc à un stress beaucoup plus important du marché actions. Toutefois, le propos n’est pas ici d’évoquer un prétendu krach, mais plutôt de s’intéresser à l’évolution ultérieure des taux d’intérêt. Manifestement, la stratégie future de lutte contre l’inflation et la gestion de la crise bancaire actuelle jouent un rôle déterminant. Après avoir connu, l’année dernière, le cycle de resserrement monétaire le plus rapide de ces dernières décennies dans le sillage de la restauration de la stabilité monétaire, nous avons assisté ces dernières semaines à la chute brutale des taux d’intérêt. La volatilité réalisée élevée a logiquement entraîné une volatilité attendue (implicite) élevée. Et maintenant, que nous réserve l’avenir ?

Le scénario actuel est le suivant : les récentes tensions dans le secteur bancaire pourraient aider les banques centrales à lutter contre l’inflation en durcissant les conditions de prêt et de crédit, notamment pour les petites banques. Autrement dit : le durcissement des conditions de financement compensera en partie les hausses de taux nécessaires pour ramener l’inflation vers l’objectif de 2 % de la Fed. Face aux tensions dans le secteur bancaire, les marchés s’attendent à ce que la Fed ait moins besoin de relever les taux. Non pas parce qu’il n’y aurait plus d’inflation, mais parce que le durcissement des conditions d’octroi de crédit s’en chargera entièrement ou en partie à sa place. Dans ce contexte, rien d’étonnant à ce que les attentes des investisseurs à l’égard de la politique monétaire de la Fed et de la BCE aient radicalement changé. Les anticipations se sont inversées en un temps record, passant de plusieurs hausses de taux à plusieurs baisses. Le graphique 2 présente la politique monétaire de la Fed attendue par le marché, autrement dit, intégrée dans les cours, à trois dates différentes : le 6 mars 2023 (avant la crise), le 20 mars 2023 (annonce du rachat de CS) et actuellement (3 avril 2023). On y voit clairement une disparition brutale des anticipations de hausses des taux à partir du 20 mars. Les attentes se sont ensuite quelque peu relativisées.

 

« Nous estimons que les conséquences de la crise bancaire
sur l’économie réelle sont surévaluées. »

Michael Blümke

Dans notre évaluation de la situation, nous parvenons toutefois à une tout autre conclusion. La crise des banques passera relativement vite et l’attention se portera à nouveau sur l’inflation. Nous estimons que les conséquences de la crise actuelle sur l’économie réelle sont surévaluées. Premièrement, il ne faut pas oublier qu’il s’agit de risques idiosyncratiques qui peuvent perdre relativement vite de leur ampleur. Deuxièmement, les mesures prises par la Fed et le Trésor américain pour injecter des liquidités, apaiser le marché et surtout, restaurer la confiance, nous semblent suffisantes. Les responsables américains ont tiré des leçons des crises passées et, dans ce cas, ont fait fort et vite. La protection des investisseurs et les injections de liquidités ont durablement réduit le risque d’une panique bancaire (« bank run ») et la probabilité de généralisation de celle-ci. Afin de réduire les charges futures, la Fed a également lancé un nouveau programme de financement à terme des banques (BTFP).

Outre le guichet d’escompte limité dans le temps, qui permet le prêt d’un vaste éventail de titres avec un escompte par rapport à la valeur de marché, les banques peuvent se procurer, grâce au BTFP, des liquidités pendant une année à la valeur nominale de bons du Trésor, d’hypothèques et d’emprunts d’agence. Il est important que ces facilités permettent aux banques de s’approvisionner en liquidités de manière ordonnée, au lieu de rechercher frénétiquement des fonds ou de vendre des actifs avec une décote et de réaliser des pertes, ce qui ne ferait qu’augmenter la probabilité d’une hémorragie ultérieure des dépôts. Pour évaluer l’impact sur l’économie réelle, il faut connaître le rôle des banques dans le système de crédit américain. Il faut savoir que la part des crédits bancaires dans les emprunts du secteur privé est relativement faible.

Les prêts accordés par les petites banques représentent environ 2 % du PIB, contre 3 % pour les grandes banques, tandis que la vaste majorité des crédits provient du marché financier et d’autres sources. En d’autres termes, les crédits octroyés par les banques n’ont qu’une influence minime sur l’économie. Si l’on regarde les données hebdomadaires des bilans bancaires, on constate également que l’activité de financement des banques avait commencé à ralentir l’année dernière, donc bien avant l’effondrement de Silicon Valley Bank et de Signature Bank. La crise actuelle et l’exode des dépôts des petites banques au profit des grands établissements pourraient encore accélérer la diminution des crédits octroyés par les petites banques, mais la croissance du crédit au sein des grandes banques pourrait compenser en partie ce phénomène. Rien ne nous permet donc d’affirmer que les tensions dans le secteur bancaire et leurs répercussions sur l’activité de financement ralentiront la croissance dans une mesure qui équivaudrait à un ou plusieurs relèvements de taux.

En revanche, ce qui n’a pas changé, c’est le problème posé par l’inflation. Le marché de l’emploi reste tendu, l’excédent d’épargne accumulé par les ménages et les entreprises durant la pandémie est toujours là, tandis que la croissance des revenus et des dépenses semble se stabiliser bien au-delà du niveau qu’il faudrait pour que l’inflation se fixe aux environs de 2 %. Ces tensions doivent encore significativement s’alléger. Tant que le stress financier actuel n’entraîne pas de ralentissement brutal de l’activité économique, il sera difficile pour la Fed de passer à un cap moins restrictif, et encore plus d’abaisser les taux d’intérêt. Si les banques centrales parviennent à contenir les risques pour la stabilité financière comme prévu, le risque d’inflation pourrait prochainement se retourner contre elles (et le fera).